Les étudiants des grandes écoles mettent leurs futurs employeurs à l’amende (écologique)

Analyse

Leur logique est redoutable : étudiantes et étudiants des grandes écoles dans lesquelles les grandes entreprises feront leur marché de cadres, ils sont aussi -statistiquement- ceux qui lèveront le plus facilement de l’argent pour leur business.

Et ils ont décidé de mettre la pression à leurs futurs employeurs (comme à leurs propres écoles) pour en exiger des preuves d’engagement écologique. Et ça marche.

Baptiste Eisele est diplômé de l’École des Mines d’Albi. Membre du collectif Pour un Réveil écologique (PRE) depuis 2019, il a papoté avec La Gazette.

Les actions mises en œuvre

La Gazette : Comment poussez-vous les entreprises à se “réveiller” ?

Baptiste Eisele :

“Notre projet Benchmark consiste à challenger les entreprises sur leur stratégie environnementale. On a déjà sorti six rapports sectoriels* sur le BTP, l’énergie, le numérique, le spatial, l’aérien ou l’agroalimentaire et on travaille actuellement sur le luxe, la grande distribution, les déchets et le tourisme.

L’objectif est double : voir où en est chaque grande entreprise et sensibiliser les parties prenantes (les salariés, les clients, les actionnaires et les fournisseurs) pour créer une influence en leur sein.

On sait que si une entreprise concurrente de la votre est mieux évaluée, ça tire tout le monde vers le haut.

Ce qui ressort globalement, c’est que chaque boîte a des actions très hétérogènes (évolution du parc automobile, d’autres plutôt une stratégie de décarbonation, d’autres encore qui ne font pas grand chose). Dans le BTP, on a remarqué par exemple que Bouygues a plutôt bien saisi les enjeux et est en avance sur ses concurrents.

On n’a pas fait un système de notation car nous ne sommes pas une agence spécialisée, mais on a mis en avant les bonnes pratiques et souligné les mauvaises.

Ce n’est pas entendable pour nous qu’une grande entreprise n’aie pas de stratégie de décarbonation crédible. Ce qui est important de souligner, c’est que nous les rencontrons et les impliquons. Nous lisons leurs rapports de performances extra-financières et leur documentation.

On fait un travail assez qualitatif porté, chaque fois, par des étudiants qui connaissent bien leurs sujets. On cherche à les bousculer en disant que nous n’avons plus le temps, qu’elles doivent être à la hauteur et que nous, étudiants des grandes écoles, nous n’irons travailler chez eux si elles ne bougent pas.

On s’intéresse généralement à des sociétés qui évoluent dans des secteurs intéressants et structurants comme l’énergie, les transports ou l’énergie. On leur dit que l’on n’ira pas travailler chez eux si leurs actions ne sont pas à hauteur de l’enjeu écologique.

C’est un peu un “chantage au recrutement” et, dans des secteurs qui sont en forte demande de main comme les énergies renouvelables, ça peut avoir du poids !

Au final, on est alignés avec les désirs des jeunes. L’année dernière, on avait réalisé une enquête auprès des jeunes avec Harris Interactive, pour savoir quels étaient leurs souhaits. Il en ressortait que “70% des 18-30 ans indiquent qu’ils pourraient renoncer à postuler dans une entreprise qui ne prendrait pas suffisamment en compte les enjeux environnementaux à leurs yeux”.

La Gazette : Les étudiants issus des grandes écoles sont aussi les startupers et les cadres de demain, c’est un point de pression que vous utilisez aussi ?

Baptiste Eisele :

Oui, l’équipe du Benchmark fait partie de notre pôle employeurs, constitué d’une quarantaine d’étudiants de Polytechnique, HEC, des Mines, des Centrale Telecom, Sciences Po, Agro Montpelier, INSA.

En challengeant les cadres déjà en place, ils les tirent vers le haut, car le réveil écologique des cadres et des directions est nécessaire ,car nous, nous n’allons pas arriver aux manettes avant un petit bout de temps mais vu l’urgence. La bascule doit être faite dès maintenant avec une volonté sincère et réelle de transformation.

Capture d'écran d'un commentaire de "Pour un Réveil Écologique" sous un poste de "BMW France"
Le petit commentaire qui pique là ou la com' abuse…

La Gazette : Vous menez aussi une chasse au greenwashing ?

Baptiste Eisele :

Oui ! Et vu que sur LinkedIn, c’est 191 000 personnes qui nous suivent, aux alentours de 30 et 40 000 abonné sur Instagram et Twitter, ça a de l’impact ! Les réseaux sociaux nous donnent aussi cette légitimité parce que lorsqu’on identifie une campagne de greenwashing, on intervient sur les posts.

Quand on dit que telle action mise en avant ne vaut rien par rapport à l’impact global de votre entreprise ça fait bouger les directions de la communication. Si c’est pour communiquer que vous mettez un petit peu de plastique recyclé dans 100 produits alors que par ailleurs vous en produisez 10 millions d’objets plastiques, autant vous abstenir de communiquer…

En général, le service marketing remonte à la direction que là, il y a un retour de flamme lié au greenwashing.

Par exemple, Toyota a fait une campagne pour dire “Cette voiture à hydrogène ne rejette que de l’eau” sauf que la voiture, il faut la fabriquer, il faut fabriquer l’hydrogène, qu’il y a toute la question de la pollution due aux pneus etc., donc vous n’y êtes pas !

Il suffit parfois d’un commentaire sous le post de l’entreprise, et lorsqu’il y a 1200 likes au commentaire, ça dérange.

Pour aller plus loin…

La Gazette : Pourquoi avoir réalisé une campagne d’affichage dédiée aux élections européennes ?

Baptiste Eisele :

“Nous savons que les jeunes sont les plus concernés par l’abstention et l’on sait aussi que c’est au niveau de l’Europe que se jouent beaucoup de choses pour la transition écologique, alors du 15 au 22 mai, nous avons mis en place une campagne d’affichage dans le métro avec 105 affiches publicitaires très grand format.

Le but est de donner aux jeunes l’envie d’aller voter ! Comme pour notre campagne précédente où on vulgarisait le rapport du GIEC, la régie MediaTransports nous offre le dispositif et l’on ne s’occupe que du financement de l’impression des affiches.

Nous fonctionnons avec des dons ainsi qu’avec le soutien de l’European Climate Fundation. On travaille aussi avec Parlons Climat qui est une association de sociologues et de chercheurs.

Nous avons un autre évènement à venir, le dimanche 26 mai, où nous allons aller à la rencontre des Parisiens dans les parcs pour discuter des élections et pousser les gens à aller voter. On agit avec d’autres associations, on sera une soixantaine de personnes.

On est apartisan donc ne pousse pas vers un parti en particulier, mais on va expliquer pourquoi le changement climatique est le grand enjeu.

La Gazette : Lorsqu’on souhaite investir dans une entreprise, quelles questions doit-on se poser, selon vous ?

Baptiste Eisele :

“Il faut avant tout questionner l’utilité des produits et des services de l’entreprise. Est-ce que ce produit répond à un besoin ? Est-ce qu’il permet de décarboner, de protéger la biodiversité ? Est-ce qu’il permet à des gens précaires d’accéder à un service ?

Il faut aussi se demander si l’entreprise a une vision systémique, parce que ça démontre aussi qu’elle va être pérenne dans le temps. Il faut surtout aussi se demander si, par rapport à la taxonomie de l’UE, même si elle aide sur l’un des six points de vigilance (adaptation au changement climatique, atténuation, l’eau, protection de la biodiversité, ressources marines…) mais est-ce qu’elle n’en détruit pas un autre.

Avoir une action positive sur l’un des Objectifs de Développement Durable (ODD) c’est bien, mais si l’entreprise en détruit un autre, ça ne sert à rien.”

La Gazette : Vous challengez aussi vos (grandes) écoles sur leur engagement ?

Baptiste Eisele :

“Oui, car on a pour objectif que, peu importe les formations, tous les étudiants soient formés aux enjeux écologiques. On a envoyé des questionnaires à tous les établissements d’enseignement supérieur pour établir un baromètre, on a fourni des boîtes à outils pour challenger les directions.

Dans un monde en transition, les employeurs vont avoir besoin de nouvelles compétences techniques et commerciales (analyse de cycle de vie, chiffrage des projets de transition), donc formation et employeurs sont les deux face d’une même problématique.

Le but est de changer la norme et de former les personnes qui vont permettre que ça change.

On voit aujourd’hui que les entreprises ont moins besoin d’être bousculées fort, qu’elles sont plus sensibles et qu’elles nous considèrent aussi maintenant comme des parties prenantes.”

Rapport du collectif "Pour un Réveil Écologique" sur le secteur numérique

*Retrouvez ici les rapports sectoriels des entreprises qui ont joué le jeu de répondre au benchmark :

Bâtiment : https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr/articles/rapport-secteur-btp-immobilier/

Numérique : https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr/articles/rapport-secteur-numerique/

Aérien : https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr/articles/rapport-secteur-aérien/

Énergie : https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr/articles/rapport-secteur-energie/

Agro-alimentaire : https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr/articles/rapport-secteur-agro-alimentaire/

Spatial : https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr/articles/rapport-secteur-spatial/

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